Un labyrinthe de couloirs t'accueillit après que tu te sois échappée de la salle principale. Des corridors longs et sinueux, lugubres, au plafond haut et à la température croissante. Plus tu avançais, plus tu avais chaud. Tu jetas ton bonnet dans ton sac au bout d'un temps, sentant la sueur s'imprégner de ta chevelure lavée le matin-même. Tout ce travail pour que tu paraisses resplendissante, si rapidement gâché ! Tu ruminais intérieurement. Parvenue au point où la déshydratation paraissait s'imprégner de ton être, tu décidas de t'asseoir contre un mur pour te reposer un peu. Tu en profitas pour ouvrir ton sac qui, ô miracle!, contenait entre autres une petite bouteille d'eau. Tu happas quelques gorgées assoiffées du précieux liquide, avant de te saisir de la fourchette dont tu disposais, et qui après tout, ferait peut-être une bonne arme. Tu la rangeas précautionneusement dans ta poche avant de refermer le sac et de te relever. Tu poursuivis ta marche, plutôt exténuée. Il allait bientôt survenir un événement, peu importe sa forme. Tu t'en doutais. Les juges ne laissaient jamais les spectateurs s'ennuyer. Et à mesure que l'interrogation croissait, la peur te faisait froncer les sourcils. Tu te sentais moins forte que tout à l'heure. La chaleur de harassait.

Au bout de plusieurs heures de marche, tu parvins enfin à une porte. Tu t'arrêtas devant elle, sceptique. Elle ne t'inspirait rien qui vaille. Qu'allais-tu trouver derrière elle ? Décidant de faire fi de tes craintes, tu pris quelques secondes pour te recoiffer et paraître présentable. Après tout, tu allais peut-être retrouver les autres tributs ? Si seulement tu parvenais à rejoindre Bartholomew et les autres carrières...

Saisissant ton courage à deux mains, tu ouvris la porte, et fus aussitôt envahie par une sensation aux antipodes de celle que tu ressentais jusqu'alors. Tu frémis de toute ta hauteur. Il faisait froid. Très froid. En un instant, la température ambiante venait de baisser de soixante, voire soixante-dix degrés. Ça te paralysa. Tu allais tomber malade, tu en étais sûre. Devant toi, une immense étendue blanche allait à perte de vue. De la neige. Tu en avais souvent vu au district Sept, spécialisé dans l'exploitation forestière et situé au nord de Panem. Elle tombait sur les cimes des conifères les deux tiers de l'année. Et même si tu n'appréciais pas vraiment cette substance glaciale, elle t'était au moins familière, et tu savais comment l'appréhender. La porte se referma brusquement derrière toi, te ramenant à la réalité. Tu regrettas soudain d'avoir rangé ton bonnet, et le ressortis pour t'en coiffer en une fraction de seconde. Ça allait tout de suite mieux. Un peu plus adaptée à ce nouveau climat – tu grelottais pourtant toujours – tu regardas un peu plus précisément l'endroit où tu étais. C'était une salle. Une grande salle. Et à l'autre bout... Oh mon Dieu ! « Coucou ! » crias-tu, fondamentalement ravie. Taylor, le tribut du Quatre, attendait près d'une porte, à l'opposé de la salle. Un sentiment d'apaisement t'envahit aussitôt, assez futile, et bientôt remplacé par le doute. Ce n'était peut-être pas une si bonne nouvelle. Et si, plutôt que de te protéger, il souhaitait te tuer ? Après tout, tu ne le connaissais pas vraiment. Tu lui avais juste parlé une ou deux fois, pour la politesse.

Espérant éviter toute confrontation, tu dis, ta voix se réverbérant dans un écho glacial : « Alors, tu as fait bon chemin ? Moi, ça va ça va. » Tu avais adopté un ton guilleret, comme si vous effectuiez une balade de santé. Tu étais puérile, tu le savais. Car en réalité, tu étais morte de peur. Mais il était encore trop loin pour tenter une quelconque attaque. Et de toute manière, tu ne le permettrais pas. Tu allais gagner les Hunger Games, tu en étais certaine. « Tu ne vas pas essayer de tuer ton alliée hein ? Tu n'es pas quelqu'un de lâche. Pas vrai, Taylor ? » Un frisson te parcourut à nouveau, mais tu ne savais pas réellement si c'était à cause du froid lancinant, cette fois-ci.

Taylor fit quelques pas sans que tu daignes avancer. Soudain, il se pencha pour se saisir d'une boule de neige qu'il vint t'envoyer dans le faciès. La substance glacée te brûla le visage, provoquant le picotement violent de ton épiderme. Tu vacillas, mais te rattrapas aussitôt, providentiellement. Tu avais décidé de rester stoïque. Et même si son comportement te faisait enrager, tu n'allais pas te trahir. Ce que tu avais choisi de faire était l'une des meilleurs solutions. Ou plutôt la seule solution, car Taylor ne semblait pas être un être empreint de pacifisme... Il ouvrit enfin la bouche pour te hurler : « Ta gueule pauvre conne. Tu sais qui sont les lâches ? C’est ceux qui ont déclenché la révolte… ceux à cause de qui j’ai perdu la personne la plus importante pour moi…. C’est au tour des autres de voir un être cher mourir. Et c’est toi qui sera la première… désolé ! » Sur ce, il t'envoya à nouveau une boule de neige dessus, puis une troisième. Ne pouvant plus tenir sur cette glace glissante, le dernier choc te propulsa au sol, sur lequel tu atterris lourdement. Tu relevas le visage en adoptant une expression de tristesse pure. Tu vis qu'il était muni d'une longue épée – zut. Fébrile, ton corps commença à trembler imperceptiblement, mais assez pour qu'il le voie. Tu espérais qu'il allait être touché par ton statut de victime. Tu analysas les paroles qu'il avait prononcées et décidas de t'en servir. « Imagine que je suis cette personne chère. Tu voudrais à nouveau souffrir en me voyant mourir ? » Ta voix était faible et hésitante. Tu te servais du choc provoqué par les boules de neige pour exprimer la douleur. « S'il-te-plaît, ne me tue pas, je n'ai rien fait. J'adore le Capitole. Je hais autant que toi la révolte. Regarde, j'attends là. Je suis innocente. S'il-te-plaît, je n'ai rien à voir là-dedans... » Tu levas les bras au dessus de toi en signe de rédemption, puis te relevas précautionneusement. Tu étais presque aussi grande que lui. Tu le dardas d'un regard sincère et candide. « Tu n'es pas obligé de me tuer. On peut rester là à deux. Personnellement, je ne veux pas en finir avec toi. Pourtant, je le pourrais. Je possède des capacités au moins aussi utiles que les tiennes. » Tu esquissas un léger sourire. Tu étais sans doute sur la bonne voie. Peut-être s'apitoierait-il sur ton sort. Peut-être que ton histoire d'innocence le ferait réfléchir et le toucherait ? Cependant, tu sentais que chaque seconde qui s'écoulait te rapprochait un peu plus d'une confrontation certaine. Tes tremblements s'accentuèrent, cependant que tu replaçais une mèche de cheveux blonde derrière ton oreille. Tu inspirais la fragilité. Et c'est ce que tu souhaitais.

Mais à ton grand dam, tu t'aperçus que tes paroles n'avaient à proprement dit aucun effet sur ton adversaire. Il te toisait toujours avec animosité. N'avait-il donc aucun engagement moral ? Bon, tu n'étais pas non plus professionnelle dans l'art d'être quelqu'un d'humain mais, tout de même. Il aurait pu te témoigner un peu de compassion, non ? Non. Vous étiez dans les Hunger Games. Sauf que tu avais du mal à t'y faire. Car tu ne voulais pas avoir à combattre. Tout ça, ce n'était pas pour toi. Si seulement tu parvenais à tuer Taylor par un moyen ou un autre, le plus simple et rapide possible... Mais il était un carrière, et tu n'étais pas entraînée. Ça n'allait pas être aisé. Comme pour le confirmer, ton assaillant déclara : « Si tu savais le nombre de gens qui n’ont rien avoir la dedans… Mais c’est la vie… tu es sur mon chemin et tu vas crever. » Ouh, c'était encourageant. Tu eus envie de répliquer quelque chose de cinglant, mais tu t'abstins en te rappelant que tu devais paraître fragile. Et de toute manière, tu n'en eus pas l'occasion : Taylor brandit son épée vers toi et se mit à courir. Dans deux secondes à peine, il t'aurait tuée. Un réflexe futile te fit rebrousser chemin, sauf que dans ta précipitation, tu avais oublié que tu te tenais sur un sol glissant...

Tu tombas de nouveau, violemment. Cette fois-ci, tu t'écrasas sur ton flanc droit et ressentis aussitôt une affreuse douleur à la hanche. Tu ne pus t'empêcher de pousser un cri lors de la collision. Tu étais cependant obnubilée par le carrière qui menaçait ta vie. Point positif, tu t'étais ramassée sur sa trajectoire, et à ton propre instar, il allait sans doute tomber sur la glace. Muni de son épée, il allait peut-être s'empaler dessus ? A cette idée, tu eus envie d'éclater de rire, mais ce n'était pas une situation très adaptée pour cela. Et la douleur à ta hanche était trop intense pour que tu t'autorises à être joyeuse.

Ta hanche endolorie t'embrumait l'esprit, mais tu entendis nonobstant Taylor chuter sur la glace. Si seulement tu parvenais à te relever rapidement, avant qu'il ne fasse quelque... Mais non, tu l'entendais déjà se mouvoir sur ta gauche. Et en une seconde, il fut au dessus de toi, assis sur ton corps frêle. Tu étouffas un juron tant son poids te compressait. De plus, il maintenait tes bras au sol. Connard. Tu avais vraiment mal, pour le coup. Il appuyait sur ta hanche sans la moindre once de remords, et tu ne pus t'empêcher de gémir. « Tu vas mourir! » s'exclama ton assaillant. Son regard n'avait plus rien d'humain. Que pouvais-tu faire ? Il te fallait trouver une issue. Vite. Très vite. Car déjà, il approchait son épée de ton cœur... « ATTENDS ! » crias-tu. Tu devais économiser le temps à tout prix. Il te fallait trouver une solution. Tu étais rusée, non ? Il fallait que tu le prouves. C'était ta dernière chance. Tu repris, les yeux baignés de larmes : «  Attends, s'il-te-plaît, juste quelques secondes, j'ai quelque chose à te dire. » Cette fois-ci, tes sanglots étaient sincères. Tu ne voulais pas mourir. Mais la situation te semblait inextricable. A moins que ?

Tu ne laissas pas à ton adversaire le temps de méditer ; tu enchaînas aussitôt : « Je ne fais pas ça pour reculer l'échéance, hein, mais on est alliés... Alors avant que tu me tues, on peut un peu parler, non ? » Tu esquissas à nouveau un léger sourire, qui ressemblait davantage à un rictus. Un rictus mêlé de douleur et de peur. Tu faisais pitié. Mais tu voulais survivre. Tu devais le convaincre de te laisser parler pendant un moment. « C'est très important... retire juste ta lame quelques instants, je t'en prie. J'ai été chargée de te dire quelque chose. De toute manière, je n'ai aucune arme et je suis sans défense. Regarde, je n'ai même pas mon sac avec moi. » Tu émis un faible rire, qui n'en portait que le nom. Mais ce que tu disais était vrai : il te tuerait très sûrement. Alors peut-être accepterait-il ? Tu captas son regard et le fixas, essayant de lui transmettre toute ta peine. Il ne pouvait tout de même pas faire preuve d'une telle lâcheté en tuant de sang froid la créature sans défense que tu étais !?

Mais tu avais trop d'espoir. Et tes belles paroles n'eurent aucun effet. L'épée perfora ta peau et plongea dans ta poitrine. La douleur était indescriptible. Tu hurlas. Tu savais que tu allais mourir. C'était insoutenable. Tu voulais mourir. Une perle salée roula sur ta joue avant de se figer instantanément, gelée par le froid de la salle. Que faisais-tu ici, sous ce carrière, à agoniser en silence ? Tu ne voulais pas mourir ici. Pas dans les Hunger Games. Ça te paraissait insoutenable. Tu souhaitais vivre, retourner au district Sept, être couronnée de gloire... L'idée de mourir t'était insoutenable. Mais chaque fraction de seconde qui s'écoulait te menait un peu plus vers le trépas. Tu crachas du sang au visage de ton assaillant, cependant que ton pouls s'accélérait une dernière fois. La lame avait touché ton cœur qui allait cesser de battre. Tout allait bientôt être fini.

Et tu ne serais plus. Toutes tes promesses futiles, tous tes espoirs minables, réduits à néant en une poignée d'heures. Tu n'avais pas fait long feu, au final. Et ça te répugnait. Toi qui aurais pu si bien t'en sortir dans une arène normale... Les Jeux de la faim te prouvaient qu'ils étaient plus forts que toi. Qu'ils pouvaient te réduire à rien, et tout détruire de ta vie. Une nouvelle larme roula contre ton épiderme blême. Toute ton existence te revenait d'un coup pour mieux t'accabler. Toutes ces personnes que tu avais dénigrées, rabaissées, insultées. Tous ces gens que tu pensais inférieurs. Ils devaient bien rire, aujourd'hui. Et Niamh, ta sœur, qu'en pensait-elle ? Pleurerait-elle ta mort ? Tu eus envie de hurler à la mémoire de ta vie passée. De tous tes souvenirs. Mais tu n'en avais plus les capacités. Tu ne pouvais plus parler. Tu ne pouvais plus penser. Tu pouvais simplement te contenter d'observer le plafond de cette salle, et ce froid glacial qui mordait ta peau, en attendant ton dernier souffle.

Alors voilà, c'était ta fin. C'était aussi simple que cela. Et tu ne ferais rien de ta vie. Tu demeurerais Deirdre Cair, la fille du maire du District Sept. Cette petite blonde insupportable qui avait fait du mensonge une arme subtile. Mais tu ne regrettais rien. Tu étais fière de la personne que tu avais été. Tu demeurais digne. Ton tempérament de feu, bien qu'évanescent, ne s'évanouirait vraiment jamais. La flamme persisterait dans le cœur de ceux qui t'aimaient, et pour lesquels tu ne daignais jamais exprimer une once d'attention. Ils t'avaient aimée comme ça. Comme cette créature diaphane qui, allongée sur ce sol glacial, la poitrine inerte et empourprée, ne perdait rien de ta superbe. Tu rendis ta dernière expiration dans un mouvement souple et gracile, qui te tira un faible sourire absent.

Un petit parachute argenté tomba tranquillement aux côtés du tribut qui grelottait. Heureusement pour lui, celui-ci contenait un:

- Sac de Couchage
- Chauffe-Plat.

Suivi d'un petit papier où il y était soigneusement écrit:
❝ Profite de ces quelques cadeaux pour reprendre des forces. Je te souhaite une bien belle nuit. ♥ ❞