J'avais enfin passé ce pont. A chaque pas j'avais cru tomber pour m'écraser la tête contre la roche. Les planches grinçaient et les cordes étaient à peine viables. Elles pouvaient se rompre à tout moment. Sans compter les aigles qui semblaient irrémédiablement attirés par ma tête. Heureusement, j'avais évité le pire. J'étais plutôt légère et pour une fois, c'était plutôt un avantage. Les plus costauds n'allaient probablement pas passé la moitié du pont. Et les tributs n'auraient alors plus d'accès à l'autre rive. Une chance que je sois déjà de l'autre côté donc. Parfait, ça aurait le mérite de les ralentir un peu. J'espérais que les carrières allaient avoir la stupidité de traverser tous ensembles pour tous finir le crâne ouvert sur les cailloux.

Enfin, le nouveau décor ne m'inspira pas plus confiance que le pont. Devant moi s'offrait des montagnes et des montagnes de rocs. Ma foi, je pouvais m'y cacher très facilement. Se faufiler par-ci par-là devait être chose aisée pour la grand contorsionniste que j'étais. Heureusement d'ailleurs que j'avais encore ce petit avantage sur les autres... En tous les cas, je préférais avoir des hauteurs plutôt qu'une grande étendue plane où l'on te repérait à dix kilomètres à la ronde. Quoique me recevoir un éboulement dans la tronche, très peu pour moi. Surtout sachant ce qui était arrivé dans l'édition une. L'avalanche. A tous les coups, j'allais me recevoir de la roche dans la figure.

Ni une ni deux, je m'attaquais à la montée. Les flancs étaient relativement escarpés, mais il y avait quelques appuis faciles à prendre. Heureusement que mon frère m'avait appris quelques trucs lorsque j'avais essayé de m'improviser trapéziste. Les arts du cirque demandaient beaucoup de précisions. Aussi étais-je du genre maniaque et perfectionniste. Je ne supportais pas vraiment l'échec. Et j'étais capable de réessayer jusqu'à ce qu'une réussite se présente. Ma force résidait en ma détermination à toute épreuve. Je pouvais le faire. Je devais le faire. Pour moi, pour ma famille, pour mon district. Pour la gloire et la fortune. Mon avenir allait se jouer dans les prochains jours, voire les prochaines heures. Il fallait que je donne le maximum.

Je pensais soudainement à Vaïo et Alex. Les deux que j'avais rencontré au Capitole. Des gentils gars. Peut-être que j'allais pouvoir les retrouver plus tard ? Peut-être qu'ils allaient me protéger ? Moi la fille passablement inutile sans mes précieuses aiguilles et mes adorables poisons. Ils avaient essayé de m'approcher malgré ma note pourrie lors du passage devant les jurys. Au moins j'étais sûre d'être l'une des dernières sur la liste des personnes à abattre. Je le vais les yeux au ciel. Encore des aigles. Cette foutue créatrice n'avait donc mis que ça ? Des aigles prêts à t'arracher la peau du visage avec leurs serres acérées ? J'espérais que ceux-ci n'auraient pas la génialissime idée de venir me faire perdre l'équilibre... Une petite prière et je continuais ma montée.

Après quelques heures, le soleil avait commencé à s'éclipser. Il descendait lentement. Il fallait que je me mette à l'abri pour la nuit. Et vite. Je m'arrêtais donc dans le premier renfoncement que je trouvais. Une grotte miniature à l'écart de tout. L'accès y était très compliqué. Heureusement, j'arrivais à m'y faufiler en me contorsionnant un peu. Les autres avaient très peu de chance de m'attraper là-dedans. Il fallait vraiment être doté d'une souplesse notable et d'une petite taille. J'avais les deux fort heureusement. Enfin quelque chose d'utile dans ma palette de capacités. Et j'attendais. Je n'avais rien à faire d'autre... La faim se faisait ressentir, mais c'était encore supportable. Pour l'instant.

Un petit parachute argenté viens se terrer tout près de toi. Il suspendait un sac à dos. Voici ce que le sac contient:
-Fil de nylon 2mx2m
-Lanière de Boeuf cuit
-Dague
-Hameçon
-Lunettes de soleil
-Pastille purificatrice

Un petit mot y est aussi accroché:
« Tu as de la chance d'avoir ce physique de rêve, ça te permet de gagner un sac rempli. Bonne chance. »

Je regardais le soleil se coucher lentement. C'était peut-être la dernière fois que je voyais ce spectacle, pourtant autrefois si banal à mes yeux. Je soupirais. Maintenant que ma tête était au calme, je me posais tout un tas de questions sur mes frères, sur mon avenir... Sur ma survie. Mes frères. Avaient-ils seulement la force de regarder leur petite sœur mourir sans rien pouvoir y faire ? Je ne voulais pas mourir. Pas maintenant. Vivre cent-vingt ans, finir vieille et aigrie, faire prospérer le nom des Fratellini dans les arts du cirque et avoir trente arrières-petits-enfants. C'était ça, que je voulais. Encore fallait-il que je survive. En étais-je capable ? Pouvais-je réellement affronter les carrières ? Peut-être que ma bonne étoile allait faire en sorte de me préserver des combats. De faire tomber les autres dans les pires pièges qui soient. Tant de "peut-être" et pas assez de "certainement".

Alors que je me morfondais tranquillement dans mon coin, un petit parachute argenté attira mon attention à l'extérieur. Il venait de tomber juste devant le creux où je m'étais faufilée. Je sortais, intriguée par la chose. Cinq minutes de contorsion plus tard, j'étais devant le petit colis. Un sponsor avait réellement miser sur moi ? Moi la désespérée qui avait obtenu un deux devant les jurys ? Franchement, je m'attendais à TOUT sauf à ça. Il y en avait qui devait aimer gaspiller du fric là-haut ! Bon. Je n'allais pas cracher dessus... Je n'étais pas hyper équipée en fait. Alors ce sac tombait à pic. Oui parce que c'était un sac, accroché au parachute argenté. Je m'empressais de l'ouvrir pour en découvrir le contenu. Fil de nylon, bœuf cuit, dague, hameçon, pastille purificatrice, lunettes de soleil... Lunette de soleil ?! Décidément, ils avaient de l'ironie au Capitole. Enfin, je restais très satisfaite de ce que je venais de "gagner". Au moins, je possédais de quoi me défendre. Une dague était relativement courte, ça n'allait pas trop me changer des aiguilles, en plus d'être plutôt facilement maniable contrairement à d'autres armes.

Alors que je m'apprêtais à retourner me terrer dans mon trou, j'eus l'intelligence d'esprit de ramasser le parachute. Mieux valait ne pas laisser ça là si je ne souhaitais pas me faire repérer. Je découvris par la même occasion un petit mot, coincé dans les plis dudit parachute. Okeeeey. C'était donc pour mon physique qu'on m'avait sponsorisée. Disons... Original ? Remarquez, s'il n'y avait que des moches dans les téléréalités, ça se saurait. Je remerciais intérieurement ma pratique instance de la contorsion et des arts du cirque en général. Mon corps était devenu particulièrement svelte grâce à ça. Et j'allais peut-être vivre aussi grâce à ça. Donc merci. Merci ancêtres, merci parents, merci frères. Je me devais de gagner en mémoire de tous ceux qui croyaient en moi ! Je pouvais le faire.

Pour l'heure, ma motivation retomba d'un coup en même temps que le soleil. Il commençait à faire fichtrement noir. Mieux valait que je retourne dans mon trou. Au sens propre du terme. Je rentrais donc à "l'intérieur" avec peine et emportais le sac avec moi. Contorsion bonjour. Contorsion merci encore. Décidément, l'arène continuait de me maintenir en forme.