Je me réveille, et me frotte les yeux. J'ai survécu à la nuit. Parfait. Hier, cinq tributs sont morts. C'était qui, déjà? Aucun carrière, en tout cas. Ni Grant. Ou la fillette du Dix. Ce qui fait six survivants. Par contre, si je me rappelle bien, le petit du Cinq est mort. Et Noah aussi. Je vais pas dire qu'il va me manquer. Il aurait pu être un bon bouclier humain. Les filles du Six et du Huit sont mortes aussi, si je me trompe pas. Avec le garçon du Douze. Donc, le garçon du Trois est encore vivant. Et c'est tout. Enfin, du moins, au moment de l'hymne. Si ça se trouve, quelqu'un d'autre est mort. Les carrières, s'il vous plaît. Ce serait jouissif. Oui oui, rêver fait du bien. Mais ça n'aide pas à survivre. Je range la peau d'alpaga dans mon sac, avec mon sac de couchage. Je bois une gorgée d'eau, avant de contrôler le contenu de mon sac. Pas de nourriture. Sauf le poulet. Mais je devrais le réchauffer. Et là, le problème. Comment le chauffer? Je n'ai pas de bois. Et je ne veux pas brûler mon sac. Au pire, je peux toujours...

J'ai mal au bras. À force de tenir une cuisse de poulet en l'air, avec une allumette près d'elle. Au moins, ça fait cuire le poulet. Et ça ne fait pas de fumée. Même si c'est déjà la deuxième allumette que j'utilise. Quand j'estime que la viande est cuite, je l'étains, avant de l'enterrer sous la neige. On sait jamais. Et ensuite, je mange le poulet. C'est tellement bon... beaucoup plus que les yeux d'alpaga. Si délicieux qu'à la fin, il ne reste que l'os, que j'ai léché à fond, pour qu'il ne reste plus rien de la viande. Et je l'enterre, comme les allumettes. Il faudrait vraiment savoir où chercher pour les trouver. Et ensuite, je recommence à marcher, en m'éloignant encore plus de la Corne, et en espérant que ce soit pas mon dernier jour.

Je marche encore. Rien de très passionnant, je vous l'accorde. Mais bon, il n'y a rien de mieux à faire. Sauf compter ses propres cheveux. Juste, après quelques minutes, ça devient lassant. Et ennuyeux. Au point que même regarder la neige, c'est super-intéressant, en comparaison. Mais d'un coup, sans que je sache bien comment, je me retrouve accroché à un rocher. Avec le vide sous mes pieds. Je suis glissé. Dans une crevasse. Parfait. Les gens disent que lorsqu'on est proches de la mort, on voit notre vie défiler comme dans un film. Cependant, je ne vois rien de tel. C'est... plutôt des flashs. Des résumés de mon existence. Un kaléidoscope de souvenirs. J'entends vaguement quelqu'un crier. Moi, probablement. «À l'aide!» Oui, d'accord, crier va attirer tout le monde dans les alentours. Mais si ça se trouve, il y aura quelqu'un qui va pouvoir m'aider. Comme Grant, ou Kyle, s'ils sont encore en vie. J'essaye vainement de remonter. Eh oui, faut bien que je remonte. Sinon, je vais tomber, et je ne m'appelle pas encore Superman. «Aidez-moi!» Bordel. Possible qu'il n'y ait personne pour venir m'aider pile au moment où j'en ai besoin? J'ai toujours mon sac accroché à mon dos. Et l'arc aussi. Heureusement. Ce serait le comble si je me sauvais juste pour perdre tous mes affaires. Ma respiration est très rapide. Entre l'effort physique qu'est le rester accroché, et la peur, c'est naturel. Quoi? Mais non, vous savez, on a pas du tout peur, lorsqu'on a les pieds dans le vide, et que si on lâche un rocher, on meurt. Mais pas du tout. Je pense que je n'ai jamais désiré autant que quelqu'un arrive. «Au secours!»

Finalement, quelqu'un arrive. Le tribut du Trois, si je me trompe pas. Kyle. «T'es dans une sale posture dis-donc. Allez, prend ma main, histoire de te sortir de là.» Son ton est assez moqueur. Bon pour lui, s'il arrive à faire des blagues en ce moment. Je lui prends la main. «Sans blague?» Nonobstant mes efforts, ma voix a tremblé à la fin. Je me fais aider pour remonter, et lorsque je sens finalement le terrain sous mes pieds, je soupire d'apaisement. J'ai réussi. Enfin. On m'a aidé. Mais j'ai survécu à leur piège de merde. Je suis encore en vie. Je me détends, en posant le dos par terre. J'halète toujours. Mes joues sont rougies par le froid et l'excitation. Mes yeux, pointés vers le ciel, pétillent. Je sens un gros poids s'en aller de mon ventre. Je suis en vie. Je remonte mon torse, et je regarde Kyle. «Merci. De m'avoir... aidé.» Je me sens... débiteur. Il m'a sauvé la vie. Je serais sans doute mort, s'il n'avait pas été là. Je sors ma gourde, pour en boire une gorgée. Ensuite, je la range à nouveau dans mon sac. Mon regard se pose sur une de ses mains. Au bout de laquelle il y a un couteau. Si ça avait été une faucille, ça aurait été beaucoup plus pratique. Mais on doit faire avec ce qu'on a. De plus, un couteau est comme une faucille avec une lame différente. Et d'après mes souvenirs, c'est lui le garçon à l'arc, de l'entraînement. «Dis... tu voudrais bien me donner ton poignard, si je te donne mon arc?» Je me sens comme un gosse qui veut échanger un jouet avec un gâteau. Je lui tends l'arc et les flèches, que j'ai trouvé avec mon sac, en espérant qu'il accepte.