La journée s'était plutôt bien déroulée dans l'ensemble. Je m'inquiétais toujours pour mon frère, évidemment, mais j'avais confiance en Siobhán. Elle allait prendre soins de Loebhan à ma place. Du coup, plus sereine qu'en arrivant le premier jour, j'avais pu m'entraîner pleinement et profiter un peu du train de vie "capitolien". Le nombre d'installations "vacancières" était impressionnant. Piscines, parcs d'attractions, parcs tout court, grandes allées de shopping, suites luxueuses, nourriture en abondance... De quoi faire rêver les tributs des districts pauvres. Une sorte de maigre lot de consolation avant de les jeter dans la gueule du loup peut-être ? Ils m'inspiraient de la pitié. Alors dès que l'un d'eux avait le cran de me demander un peu d'aide, je le faisais volontiers. Je disais "avait le cran de me demander" parce que la plupart n'osait même pas m'approcher à cause de mon statut de carrière. J'espérais qu'avec le temps (enfin, du temps, remarquez, on en n'avait plus beaucoup), ils finiraient par venir vers moi.

D'un autre côté, plus mes adversaires étaient faibles, et plus j'avais de chance de rentrer chez moi. Loebhan avait besoin de moi et je ne voulais pas qu'il perde sa seule famille proche (moi, sa sœur, en l'occurrence). La mort de nos parents avaient déjà été suffisamment douloureuse comme ça. Mais je n'étais pas encore prête à sacrifier mes valeurs pour mon propre bonheur, alors j'allais continuer dans ce sens et aider les autres... S'ils voulaient bien être aidés. Je me demandais juste si le Capitole n'allait pas prendre ces petits gestes d'altruisme tel un affront. Une jolie tâche de gentillesse dans ce système de formatage des carrières cruels qui savaient comment offrir du sang et des tripes aux téléspectateurs des Hunger Games. J'avais regardé les deux éditions précédente. Et je plaignais vraiment les "non carrières". Tuer okey, j'allais moi-même devoir tuer que je le veuille ou non, mais tuer pour faire souffrir ? Non. Jamais je ne me serais abaissée à de telles pratiques. Comment pouvaient-ils encore se qualifier d'humains ?

A cause de cette polémique intérieure des carrières et de leur cruauté, je n'avais toujours pas fermé l’œil. Je regardais l'horloge digitale accrochée au mur d'en face. Vingt-trois heures quarante. Je me levais d'un bond. Inutile de perdre du temps à se stresser de la sorte. Je préférais me dégourdir les jambes pour évacuer toute cette tension et cette rancœur. Jetant un coup d’œil sur le plan de la structure dans laquelle séjournait les carrières, mon doigt s'arrêta net sur le complexe de bains publics, qui n'avaient probablement plus rien de publics à cette heure. Toute personne censée et saine d'esprit dormirait. Ou regarderait tranquillement des émissions stupides à la télé dans le but indirect de s'abrutir un peu plus. Oui, je détestais les technologies trop poussées. Et non, je n'étais pas contre le progrès, simplement contre certains de ses aspects.

En deux temps trois mouvements, je me retrouvais donc devant l'entrée des fameux bains publics, bouteille de shampoing à la main et serviette dans l'autre, habillée simplement d'un maillot deux pièces noir. J'avais toujours été plutôt pudique. Alors lorsque l’appellation "public" se trouvait dans un quelconque nom, je prenais toujours la peine d'être "présentable". D'ailleurs, j'étais probablement un brin agoraphobe, parce que je ne supportais pas très bien la présence de la foule. Et encore moins la présence de milliers d'yeux qui me regardaient, comme ce fut le cas lors des différentes interviews déjà passées. Mais à ma grande surprise, je n'étais pas seule. Une autre blonde, sûrement plus jeune que moi, était là, à prendre son bain... Complètement nue. Je me serais bien éclipsée (en courant) discrètement si elle n'avait pas désormais les yeux rivés sur moi. A y regarder de plus près, il m'avait semblé la voir parmi les autres tributs. District huit si mes souvenirs étaient bons. « Euh... Bonsoir ? » Waw. Ça, c'était d'une répartie Finn... Sérieusement, tu bats des records. Je tentais de me ressaisir un tant soit peu, mais sa nudité apparente me gênait fortement. « Ça t'ennuie si je reste ? Si c'est le cas, je reviendrai plus tard. » Et voila que tu t'écrases devant elle. Super. De mieux en mieux ma petite Finn.

Je me sentais tellement stupide. Mon dieu. A dix-huit ans j'étais toujours aussi pudique que lorsque j'en avais treize. J'avais tellement tellement honte. Tout ce que je voulais, c'était fondre pour m'évaporer loin d'ici. Très loin d'ici. Le plus loin possible. A mon humble avis, j'avais perdu toute crédibilité à ses yeux. Adieu image de carrière cruelle qu'on m'attribuait automatiquement... Au moins, elle me pensait stupide au lieu de... Beh cruelle en fait. Il y avait un peu de changement. Mais à bien y réfléchir, quitte à choisir, je préférais l'étiquette de la carrière sans pitié. L'image de la blonde sans cervelle avait le don de me rebuter. Malheureusement, après ladite étiquette "de la carrière sans pitié", c'était celle qui me collait le plus à la peau. Les blondes étaient soumises à des préjugés tellement absurdes. Elle me demanda de sortir le temps de se changer. Parfait. J'allais en profiter pour m'enfuir très loin. J'aurais dû rester dans mon lit, bien au chaud, avec mon fond marin en guise de peinture murale.

Ni de une, ni de deux, je me mis à courir pour rejoindre ma chambre dès que je fus en dehors des bains. La voir me suivre était très très très très peu probablement compte tenu de la façon dont on s'était abordées. Et puis, elle n'avait pas eu l'air de reconnaitre ma face ou mon district. Alors les chances qu'elle trouve ma chambre étaient encore plus moindres. Tant mieux, je ne voulais pas l'affronter. Par affronter, je voulais dire se confronter verbalement évidemment. Je n'étais pas du genre à frapper n'importe qui, n'importe où et n'importe quand. Je possédais un certain savoir vivre contrairement aux autres carrières qui ne possédaient en guise de cerveau que de la poussière. Un peu et ils m'auraient presque fait pitié tellement leur intelligence ne dépassait pas celle d'un macaque. Ils n'avaient pour eux que les muscles et la technique en fait. Bref. A cet instant précis, je ne me trouvais pas plus maligne qu'eux... Alors tais-toi Finn. Tais-toi et marche plus vite.

Enfin arrivée à destination. Je fermais la porte derrière moi et tentais de faire le moins de bruit possible pour ne réveiller personne. Surtout pas mon entraîneur attitré. Il avait une de ces bouches... Quand il se mettait à parler, ça n'en finissait jamais. Et encore, ce n'était qu'un euphémisme. Je filais dans ma salle de bain et commençais à remplir la baignoire. Ça allait suffire pour ce soir. Demain direction la piscine pour se ressourcer un peu. J'avais du mal avec l'éloignement de mon district. Mes grandes étendues d'eau naturelles me manquaient cruellement à vrai dire. C'était pour cette raison que je m'étais aventurée dans les bains publics aussi tard. Et c'était pour cette même raison que j'allais bientôt me trouver dans cette pitoyable baignoire. Vivement le commencement et la fin de ces jeux de la faim... Qu'on en finisse.